Les abeilles grises, Andreï Kourkov

C’est un livre profondément marquant, que je vous présente aujourd’hui. Pour illustrer la 48ème proposition de la liste, à savoir « Un livre sur l’Histoire », j’avais choisi un roman qui fait écho à l’actualité que nous vivons, et qui, de jour en jour, se transforme en Histoire.   C’est une magnifique découverte.

Ce roman se passe en Ukraine, et débute durant l’hiver 2016-2017 dans la petite bourgade fictive de Mala Starogradivka, dans le Donbass. Dans ce village quasi à l’abandon de la zone grise située entre l’Ukraine et la République populaire de Donetsk qui voit combattre depuis 2014 l’armée ukrainienne et les forces séparatistes pro-russes vivent Sergueïtch et Pachka, ennemis d’enfance devenus depuis amis, par la force des choses et en dépit de leurs orientations politiques opposées. Ils sont en effet les deux derniers habitants de l’endroit, et passer certains moments en compagnie l’un de l’autre leur permet de tenir le coup au jour le jour dans cet endroit où la vie quotidienne est rude et monotone, au son des bruits de tirs plus ou moins loin, dans ce climat de guerre larvée.

En-dehors de Pachka, ce qui occupe Sergueïtch, personnage plein d’humanité dont les nuits sont habitées de rêves où se réveillent les peurs qu’il tente de tenir à l’écart le jour, sont ses abeilles. Leurs six ruches ont permis, en des temps meilleurs, à des personnes et même des personnalités, de recouvrer la forme après avoir dormi au-dessus d’elles, revigorées par l’énergie que ces insectes transmettent. Il les protège de son mieux et pense que l’humain devrait apprendre d’elles pour mieux vivre ensemble.

A l’aube du printemps, après une nuit de bombardements durant laquelle Sergueïtch constate l’affolement de ses abeilles, normalement toujours occupées à se reposer, il décide de partir vers des terres plus calmes, afin de leur permettre de trouver de quoi butiner.

Tout au long du roman, Andreï Kourkov nous fait appréhender la situation de son pays selon les points de vue différents de ses habitants, sans jamais tomber dans le jugement ou le manichéisme, et parfois même avec une pointe d’humour, comme pour nous montrer toute l’absurdité de la situation : la guerre n’est pas ce que les gens souhaitent, et malgré celle-ci, tant bien que mal, la vie, dans toutes ses composantes, continue.  

Il nous offre également plein de poésie (avec par exemple une magnifique ode au silence, mais aussi des réflexions sur les rapports au temps, sur la peur…), une vraie leçon de vie, par le biais d’un personnage dont la profonde humanité, dans ses forces et ses faiblesses, nous invite à nous rendre compte que l’essentiel, quand on ne peut plus faire de plans pour le futur, reste l’attention à l’autre, l’humilité, le courage, le réconfort que peuvent offrir de petits moments partagés… vivre l’instant présent pour pouvoir survivre.

Il est difficile de vous partager l’intensité de ce que j’ai ressenti à la lecture des « Abeilles grises ». C’est le premier roman que je lis d’Andreï Kourkov, mais certainement pas le dernier, tant le talent de cet auteur pour émouvoir par la justesse de son ton m’a conquise.

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